Frédéric Worms (1964-....)

Revivre

Éprouver nos blessures et nos ressources


  • Tout se concentre en tout cas, sur les deux sens que prend le mot en français ce curieux verbe : revivre. (p.8)

  • Comme si la vie avait un sens, d'en avoir deux, et, dans sa tension entre les deux, de pouvoir perdre ou retrouver ce sens.
    ...
    Pourtant toute notre expérience le prouve, le sens de la vie ne lui est pas donné, ou enlevé, a priori définitivement, d'une manière métaphysique, mais selon les expériences que nous vivons et que nous revivons, qui varient, et qui dépendent, en partie de nous. (p.10)

  • Car nous parlons tout le temps de nous, ou bien pas du tout ; mais c'est toujours une surprise lorsque l'effort pour répondre aux questions qui surgissent de l'autre, de sa vie singulière, surgit aussi, sans que cela soit dit mais à travers ce qui est dit, le sens de la nôtre et de la vie en général. (p.11)

  • Je suis ce que je revis. (p.15)

  • Penser c'est ruminer. (p.27)

  • Tout besoin est un appel. (p.37)

  • Seule la relation peut réparer ce que la relation a détruit. (p.37)

  • Nous recevons à chaque fois, comme un coup en plein coeur, la coupure même de la relation avec l'autre qui nous constituait. (p.41)

  • Ce qui est brisé, dès les premiers coups d'une torture qu'un homme inflige à un autre, c'est la source même de la relation à autrui et au monde. (p.45)

  • (sur la torture :) Ainsi, la violence tient moins ici à la souffrance physique qu'à la destruction immédiate de confiance dans les rapports humains,[...] (p.46)

  • Je ne revis pas seulement ce que j'ai subi, mais aussi ce que j'ai fait. (p.49)

  • Lorsque je dis « Je t'aime », j'ai toujours l'impression de revivre. (p.63)

  • [...] ce que je ressasse, ce sur quoi je ne cesse de revenir, ce peut-être deux genres d'actions : mes actions, mais aussi les actions venues du dehors qui m'ont atteint, affecté ou brisé. (p.75)

  • Comment se fait-il, par exemple, que nous ayons besoin de l'aide d'autrui pour accéder à certains de nos souvenirs les plus individuels ?
    [...]
    Parce ce que la rupture de l'individu est relationnelle, seule la relation restituera l'individualité. (p.89/90)

  • « Le sentiment de ne pas être aimé, ou d'être haï [...] fait disparaître le désir de vivre, c'est-à-dire d'être réunifié (citation de Sandor Ferenczi, Journal clinique » souligné par Frédéric Worms (p.80)

  • La honte nous dit quelque chose de ce qui est vital dans l'homme. (p.99)

  • Le fait que toutes les émotions profondes ont une dimension vitale, mettent en cause une dimension même de notre être, qu'elles font exister, ou menacent de détruire. Telle est la raison pour laquelle on ne peut pas se les rappeler sans les revivre. (p.101)

  • Il est donc un enjeu vital, pour chacun, d'être aimé ou haï, humilié ou respecté. L'enjeu ne sera pas moins grand d'exprimer ses émotions, sans se laisser seulement envahir et détruire par elles. Car la destruction du moi peut passer par l'excès ou l'absence d'émotion; tout comme son existence suppose qu'il les subisse et qu'il les exprime. (p.103)

  • [...] c'est le revivre qui nous apprend, en profondeur, ce que vivre signifie. (p.104)

  • [...] ce n'est pas tant parce que c'est un chagrin, qu'il ne passe pas, c'est plutôt parce qu'il ne passe pas, qu'il s'agit d'un chagrin. (p.113/114)

  • [...] la puissance n'est pas le pouvoir (qui s'exerce sur autrui), mais le déploiement de ses capacités (du soi). (p.123)

  • Dire que l'ont « revit », c'est toujours dire à la fois que l'on se sent revenir à soi et revenir à la vie ; [...] (p.125)
    (p.125)

  • Nous sommes suivis par notre ombre, mais nous projetons devant nous notre clarté. (p.126)

  • Il peut sembler que certains événements du passé soient si lourds de conséquences qu'il en sont venus à être comme une toile de fond constante et presque inévitable pour la compréhension et la perception même du présent, au point de risquer de nous enfermer dans la mémoire, et de nous masquer ce qui nous arrive et ce que nous pouvons faire. Nous serions entrés il y a déjà plus de vingt ans dans l'ère de la mémoire et de la commémoration, empêchant deux fois l'histoire, celle qui s'écrit librement et de façon critique, celle qui se fait librement et de façon nouvelle. Avec aussi bien les célébrations d'un passé glorieux, par exemple en France depuis le bicentenaire de la Révolution, que la commémoration d'un passé terrible, par exemple en Europe celle du génocide nazi, dont on n'a pas fini de prendre la mesure, on aurait refermé le regard du présent et les portes de l'avenir sur la résonance indéfiniment répétée des événements du passé. (p.152)

  • L'histoire est autant histoire des faits, des structures, que des actes et des passions. (p.175)

  • L'un des risques les plus graves du revivre contre lequel il ne faut pas cesser de lutter vient d'une confusion dangereuse entre mémoire et imagination.
    [...]
    Le confusion entre imagination et mémoire sera la source de tous les dénis, de toutes les négations, de tous les négationnismes. (p.182)

  • Il y a un moment, une étape, sur laquelle on passe trop vite dans toutes les expériences du pardon ou de la réconciliation, et qui est pourtant décisive pour chacune d'elles, dans nos vies individuelles comme dans nos relations politiques. Nous l'appellerons : la reconnaissance de l'irréparable.
    [...]
    Admettre que c'est irréparable, voilà ce qui est le plus difficile : [...] (p.188)

  • Il est pourtant incontestable que c'est seulement face à l'impardonnable que la question du pardon devient tragique. [...] Il y a donc bien de l'impardonnable, ou du moins de l'irréparable, et ne pas l'admettre est une violence faite au pardon. (p.189/190)

  • Il ne s'agit pas de revivre pour survivre ; mais de survivre pour revivre. (p.215)

  • Ignorer quelque chose est-ce si grave ? Mais ignorer quelqu'un, c'est l'écarter et, déjà, le meurtrir. Sinon pire. (p.217)

  • Ce qu'il faut reconnaître, ce qui demande à être reconnu, en chacun de nous, c'est ce par quoi aucun de nous, aucun être humain, n'est seulement un object, une chose, mais est aussi un quelqu'un, c'est à dire un soi, un sujet. (p.218)

  • Y a t-il rien de plus humiliant en effet, dans le domaine des harcèlements sociaux, exceptionnels ou quotidiens, que le puissant, ou celui qui se croit tel, qui passe près de vous sans vous voir ? C'est en réalité, comme Pascal l'avait bien dit dans ses Pensées, l'essence même du pouvoir, ou de l'abus du pouvoir, ou de cet abus qu'il définit comme vérité de tout pouvoir. [YF:Je souligne]. (p.220)

  • [...] Si notre époque avait un nom, elle pourrait s'appeler : l'ère de Damoclès.
    [...]
    L'ère de Damoclès oblige. Elle oblige au progrès. Elle oblige politiquement, à changer notre rapport à la nature, à la technique, à l'économie, à la politique, sans renoncer à aucune d'elles, en recomposant le fondement de chacune, et l'équilibre entre toutes. (p.228/229)

  • [...] Il n'y a pas de revivre qui ne passe par une réforme de la pensée, par un rapport et une aspiration à la vérité , il n'y a pas de revivre sans philosophie. (p.235)

  • Que signifie en effet ici de ne pas oublier « de vivre » ? Ce sera la chose la plus simple du monde: ainsi chez Montaigne, manger, boire, dormir, parler avec ses amis, apprendre à supporter les souffrances, observer et ne pas reproduire les vices ordinaires des homme et les maux qu'ils m'infligent tous les jours ; vivre donc, comme chacun de nous l'entend. (p.240)

  • Quoi de plus simple encore que de se réjouir, lorsqu'une souffrance s'arrête enfin, simple interruption de la douleur ? Pourtant, c'est là, et nulle part ailleurs, qu'Épicure verra la définition ultime, le comble du plaisir, donc de la sagesse. (p.241)

  • Il y a bien un double trait commun à toutes les philosophies : les malheurs de notre vie viennent de notre pensée, qu'il faut donc réformer et exercer ; cette réforme qu'il faut pratiquer reconduit à notre vie, qui a aussi son exercice. Ce double exercice sur soi, sur sa pensée et sa vie, est finalement la clé.
    Cette notion d'exercice est donc centrale. Qu'est-ce qu'un exercice ? C'est en définitive, une pratique qui a des effets par-même, et par sa répétition. [Note YF : cela rappelle aussi la notion de rituel] (p.241/242)

  • Chez les Grecs, la pensée a pour tâche, pour puissance et pour ressource de nous ramener à ce qui ne change pas. (p.246)

  • « Toutes les familles heureuses se ressemblent. Les familles malheureuses le sont chacune à leur manières.» Tolstoï Anne Karenine . (p.274)

  • Il faut le dire d'emblée, nettement, nous avons besoin pour vivre de ces deux rapports au monde, de ces deux relations à nous-mêmes, et aux autres : le travail et le jeu. (p.292)

  • « L'acceptation de la réalité est une tâche sans fin » Donald Winncott, Jeu et réalité p.47 (p.294)

  • Être en relation, c'est vivre aussi sur le mode de la séparation, qui nous fait exister d'abord dans notre corps, être dans notre peau, avant de dépasser cette séparation lorsqu'elle devient une coupur. Le jeu ne s'oppose pas au travail, la raison se distingue aussi dde l'émotion, autrui est un autre que je dois respecter, l'objet existe et résiste en me rend aussi à moi-même par sa résistance. (p.295)

  • Nous considérons comme intimes ces moments rares où nous nous confions à certains proches ou à certains amis, ou plutôt ces moments où, parce que nous leur confions ce que nous avons sur le coeur, parce que nous en parlons avec eux, nous savons que se constituent des relations de proximité, des amitiés. (p/297)

  • On le sait maintenant, ce sont les expériences relationnelles elles-mêmes qui nous renseignent sur le sens de la vie, et non pas une idée abstraite et préconçue de celle-ci qui pourrait y répondre de manière toute faite. (p.301)

    (Editeur Flammarion 2012. Lu en edition de poche "Champ")


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dernière mise à jour : 07/01/2018 version: YF/05/2016