Leon Wieseltier (1952- )

Kaddish


  • La mort de mon père ne fut pas une tragédie. Ce fut un blâme. (21)

  • Je ne cherche pas à être inconsolable mais je tiens à ne pas être trompé. (21)

  • Dans un endroit, inconnu la solitude est possible. La sociabilité est une menace pour la spiritualité. (28)

  • On peut gaspiller beaucoup de son âme à ne pas faire son devoir. (30)

  • La lueur passe. Mais il ne faut que ce qui suit la lueur passe. (61)

  • La prétention de la tradition c'est d'être une lumière qui ne s'affaiblit pas en s'éloignant de sa source. (p61)

  • Le respect de l'invisible exige le respect du visible. (64)

  • Faites du chagrin une norme et vous en faites une attitude. (65)

  • Une coutume n'exige pas de preuve. Elle exige de la compréhension. (67)

  • L'érotisme est l'approbation de la vie dans l'indifférence parfaite de la mort. (69)

  • Le désespoir n'excuse pas l'indécence.(J'aimerais le croire) (70)

  • Dans quelle mesure l'affirmation de votre propre insignifiance est-elle sincère si vous croyez être sous le regard de ce pour quoi on ne peut rien concevoir de plus grand ? (73)

  • Quand l'univers de mes parents a pris fin, le reste de l'univers ne s'est pas arrêté. Telle fut l'insulte faite par l'histoire aux juifs d'Europe. (74)

  • Dans une monde où nous mourons, personne n'est autorisé à vivre de manière superficielle. (85)

  • Le système de la loi judaïque est farouchement immanent. Il défend son intégrité contre l'intervention même de Dieu. (100)

  • « L'enfer de Dieu.» Quel aveu ! Mais c'est la vérité. Si enfer il y a, il est enfer de Dieu. (104)

  • Seule une âme étriquée n'a pas besoin des autres. Exister en soi-même est une forme d'existence orgueilleuse et dérisoire. (110)

  • Les pensées commencent par des définitions qui ensuite les entravent. (110)

  • La question pressante n'est pas de savoir si l'âme survit à la mort du corps. Elle est de savoir si elle survit à la vie du corps. (113)

  • - Et bien, montrez-moi quelque chose de semblable à l'âme, quelque chose qui ne vit pas comme le corps et ne meurt pas comme lui.
    - Facile. Je vous montrerai la raison. (113)

  • J'ai vécu pendant des années sans religion. Mais je n'aurais pu vivre sans la possibilité de la religion. (113)

  • Le fait que j'ai passé toute mon existence dans les ténèbres ne prouve pas que la lumière n'est pas. Mon expérience n'est pas la seule donnée philosophique qui importe. (114)

  • L'idée que la douleur puisse être inutile est blessante. (127)
    ... [Y.F.: mais je crois malheureusement : vraie]

  • Sans aucun doute la certitude de la bonté de Dieu fausse les choses. (YF: je souligne). Elle réduit la tension que la vertu impose. Souvenons-nous de l'estocade de Heine, de la glose involontaire de Hillel: «Dieu pardonnera. C'est là son métier.» (129)

  • Dans la mesure où la civilisation est communion avec le passé et qu'elle considère une absence comme une présence, elle est mysticisme. (133)

  • Un endroit appartient à ceux qui en on un usage. [Y.F.: cela vaut aussi pour un livre] (137)

  • Je parlerai de mon père, puisqu'il est mort; mais je ne parlerai pas à mon père puisqu'il est mort. (139)

  • La spiritualité est cernée par la superstition. C'est un état de siège permanent. (139)

  • Existe-t-il un moyen d'être un bon fils sans entrer en conflit avec la raison ? (139)

  • Pour échouer sur le plan spirituel, il ne vous est pas nécessaire de tomber. Il vous suffit de ne pas vous élever. (140)

  • Le combat contre le mal est un combat plus noble que le combat contre Dieu. (150)

  • Un messager arrive à la maison de prière de l'endeuillé. « Viens, dit-il, on a besoin de toi.» « Je ne peux venir, dit l'endeuillé, mon esprit est brisé. » « C'est pourquoi on a besoin de toi », dit le messager. (151)

  • Fasse que mon livre soit ma chandelle. (155)

  • C'est l'un des plaisirs de la tradition talmudique que la discussion soit sans fin mais non sans but. La vis ne cesse de tourner. (176)

  • Chaque fois que je lis Kafka, je me demande : quelle sorte d'abattement est-ce là qui laisse à l'individu la force d'écrire et d'écrire encore ? Si vous êtes capable d'écrire sur le naufrage, alors le naufrage n'est pas total. Vous êtes indemne. D'où la règle : l'écrivain au désespoir n'est jamais l'individu le plus désespéré au monde. (187)

  • La religion n'est très certainement pas uniquement le culte au père. (189)

  • En tout cas, la seule façon de s'occuper de ceux qui ne peuvent vous être d'aucun secours, c'est de leur apporter votre secours. (189)

  • Toute ma vie je suis allé à la shoul avec mon père, c'est-à-dire que j'y suis allé en tant que fils. C'est parce que j'ai jugé presque impossible de cesser de me rendre à la shoul en tant que fils que j'ai cessé d'y aller. J'en étais venu à confondre religion et enfance. Mais l'enfance a pris fin. (193)

  • J'appréhende ce qui m'est extérieur au moyen de ce qui m'est intérieur. (194)

  • Si je suis originellement et essentiellement coupable, si ma culpabilité précède ce que je fais, alors je peux faire ce qu'il me plaît. Quelle liberté qu'une telle culpabilité! La culpabilité ontologique est un rêve d'immoraliste.
    On n'est pas responsable d'être. C'est là précisément le problème. (194/195)

  • Seul un monde non vertueux a besoin de vertu. Regardez le monde. Y voyez-vous de la souffrance ? Alors, vous ne souhaiterez pas en ajouter. En ce sens la lucidité est une condition de la morale. (198)

  • Il est des circonstances qui doivent vous ébranler et, si vous n'êtes pas ébranlé, alors vous n'avez pas compris votre situation. En de telle circonstances, c'est un échec pour le coeur de ne pas se briser. (200)

  • La réalité ne répond pas au besoin. J'ai besoin de croire que mon père n'est pas parti; mais je suis incapable d'y croire. Et si je le pouvais, l'intensité de mon besoin d'y croire rendrait ma croyance suspecte; au moins à mes yeux. Les consolations sont plus fréquemment fausses que vraies. L'univers ne me doit pas d'élévation spirituelle. (208)

  • Garde-toi de la distraction. Rien de sérieux ne peut se faire sans que quelque chose ne soit exclu de notre vision. (216)

  • Il ne faut pas laisser la promiscuité se cacher derrière le complexité. (216)

  • La distraction, corruption de la complexité. (217)

  • Cependant la distraction a ses avantages. Comme je n'ai jamais été nulle part, je ne me suis jamais perdu. (217)

  • Un homme es tombé dans un gouffre. Ne lui parle pas du bonheur de vivre. Lance-lui une corde. Mais, une fois qu'il est sorti du gouffre et que tu découvres qu'il n'est pas heureux, parle-lui du bonheur de vivre. (220)

  • Le réel n'a pas le pouvoir de guérir. Pour que la thérapie soit efficace, elle doit être non pratique. Elle doit renvoyer à l'idéal. (220)

  • Le problème n'est pas de savoir si la biologie dit vrai. Un alibi peut être vrai, il n'en demeure pas moins un alibi. (234)

  • Deux personnes regardent un objet sans parvenir à le voir. L'une dit: je ne le vois pas, il ne doit pas être là. L'autre dit: je ne le vois pas, je dois être aveugle. (235)

  • Etre un étranger pour les siens est une aubaine pour l'état de conscience. (239)

  • Ma capacité de concentration a disparu. Les grandes choses m'échappent et les petites m'écrasent. (241)

  • Je ne peux penser pour toi, je ne peux te sauver, même si tu es mon enfant. Je ne peux penser pour toi, je ne peux te sauver même si tu es mon père. (244)

  • Ce n'est pas ce qui est bas qui définit l'humain mais ce qui est haut. (250)

  • La généalogie est une interférence dans la démocratie naturelle de la pensée. (251)

  • Croyez vous en l'âme ? alors vous êtes individualiste. (257)

  • Il n'est pas d'incompréhension plus fondamentale de l'histoire juive que celle qui consiste à la réduire à l'adversité vécue par les juifs. (294)

  • C'est une des leçons de l'histoire juive que de montrer que la communauté de destin des juifs est plus vaste que leur communauté de croyance. (300)

  • L'inspiration s'accompagne d'un sentiment de bonheur parce qu'il est bonheur. (306)

  • Mais il me vient à l'esprit qu'il y a quelque chose de plus inquiétant que l'inefficacité de la prière, c'est son efficacité. (332)

  • Même dans l'obscurité la plus complète, il faut garder les yeux ouverts. (258)

  • L'histoire de la civilisation juive c'est l'histoire de ce qui peut être accompli dans une ruine. (365)

  • Le kaddish n'a rien à voir, historiquement et textuellement, avec le deuil. (427)

  • Vous pouvez détruire des objets, vous ne pouvez pas détruire la géométrie. Mais vous ne pouvez ni touchez ni goûter la géométrie. (431)

  • Dans l'histoire juive, l'écriture est souvent une forme de sauvetage. (437)

  • Qu'est ce qu'un réfugié? Une personne qui n'honore pas ses morts là où ils vivaient. (440)

  • .. la façon dont vous mourez ne vous absout pas de la façon dont vous vivez. (442)

  • Il n'y a pas d'idéal de l'innocence dans le judaïsme. Il n'y a qu'un idéal de bonté. (443)

  • Nous sommes ceux de qui l'on peut toujours exiger plus. (444)

  • Nous n'avons pas le pouvoir de transcender notre pouvoir de transcender. Et c'est là notre perfection. (444)

  • Je ne peux imaginer de plus révolutionnaire que de ralentir les choses. (457)

  • Il n'est pas tout à fait exact que l'histoire se répète. Nous répétons l'histoire. (461)

  • Toute suggestion d'immortalité est une façon de fuir la mortalité. (466)

  • Bénie soit l'autorité qui reconnaît les limites de son autorité. (477)

  • Une proposition n'est pas vraie parce que l'on est mort pour elle. Cela semble t-il trop dur ? Alors je formulerai cette idée différemment. Une proposition n'est pas vraie parce que l'on a tué pour elle. (477)

  • Les gens qui n'ont pas de secret ne peuvent comprendre ceux qui en ont. (479)


    (Editions Calman-Lévi 2000. Traduit de l'anglais par Jean-François Sené)


Lien(s): Sur Kaddish (anglais),    Sur Kaddish (anglais),    Un sermon de LWieseltier,     

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