Jules Renard (1864-1910)

Journal (1887-1910)

Une mine de perles...


  • La gloire est un effort constant. (1887 p.4)

  • Appelons la femme un bel animal sans fourrure dont la peau est très recherchée. (1887 p.4)

  • Un homme auquel on paie à déjeuner est un homme à moitié dompté. (1887 p.4)

  • La peur de la vie. A la façon dont les plus petites choses m'impressionnent, je me demande quelles douleurs me réserve l'avenir. (1887 p.9)

  • ..rien n'est plus doux au cœur d'un homme que le ravissement de la femme qu'il aime,.. (1887 p.10)

  • Quand on n'a plus à compter sur rien, il faut compter sur tout. (1887 p.12)

  • Mettre de son côté toute la quantité possible de possible, et aller droit. (1888 p.13)

  • Avec une femme, l'amitié ne peut être que le clair de lune de l'amour. (1888 p.13)

  • l'idéal du calme est dans un chat assis. (1889 p.17)

  • Un homme simple, un homme ayant le courage d'avoir une signature lisible. (1889 p.18)

  • Toute femme contient une belle-mère. (1889 p.21)

  • Vous dites: « Je suis vaniteux », mais vous l'êtes surtout parce que vous dites que vous l'êtes. (1889 p.29)

  • Avec une pince à épiler, on pourrait plutôt extraire de ce crâne une idée qu'un cheveu. (1889 p.33)

  • J'aime les hommes plus ou moins, selon que j'en tire plus au moins de notes. (1889 p.39)

  • Un sens de plus, ou de moins qu'importe pourvu qu'il me reste le bon. (1890 p.44)

  • Malgré l'ininterrompue continuité de nos vices, nous trouvons toujours un petit moment pour mépriser les autres. (1890 p.46)

  • je mourrai avant l'heure, ou je me rendrai, et je deviendrai un ivrogne de rêverie. . [YF:Je souligne] (1890 p.46)

  • Faire tous les frais de la conversation, c'est encore le meilleur moyen de ne pas s'apercevoir que les autres sont des imbéciles. (1890 p.46)

  • Quand on commet une indiscrétion, l'on se croit quitte en recommandant à la personne d'être... plus discrète qu'on ne l'a pas été soi-même. (1890 p.50)

  • Il est tombé sur moi à coups de compliments. (1890 p.55)

  • Il faut dompter la vie par la douceur. (1892 p.99)

  • Être clair ? Nous sommes si peu capables d'effort pour comprendre les autres! (1892 p.105)

  • La peur de l'ennui est la seule excuse du travail. (1892 p.108)

  • La mort des autres nous aide à vivre. (1892 p.110)

  • Toute sa vie il fut assis sur un strapontin. (1893 p.118)

  • Aujourd'hui on ne sait plus parler, parce qu'on ne sait plus écouter. Rien ne sert de parler bien : il faut parler vite, afin d'arriver avant la réponse, on n'arrive jamais. On peut dire n'importe quoi n'importe comment : c'est comme coupé. La conversation est comme un jeu de sécateur, où chacun taille la voix du voisin aussitôt qu'elle pousse. (1893 p.121)
    (YF: je cite ce texte parce qu'il me frappe par sa cruelle actualité: Il suffit de voir comment on interroge quelqu'un à la télévision!!)

  • Contre la douceur, pas de résistance. (1893 p.132)

  • Je ne m'embête nulle part, car je trouve que, de s'embêter, c'est s'insulter soi-même. (1893 p.136)

  • Il faut feuilleter les mauvais livres, éplucher les bons. (1893 p.139)
    [YF: voir 1898 p.396]

  • Oh ! Critique, je comprends très bien votre critique. Vous savez, entre nous, moi, je ne me plais pas toujours, non plus. (1893 p.142)

  • Je me moque de savoir beaucoup de choses : je veux savoir des choses que j'aime. (1893 p.153)

  • Il a chassé le naturel : le naturel n'est pas revenu. (1894 p.154)

  • Les gens sont étonnants : ils veulent qu'on s'intéresse à eux. (1894 p.156)

  • Sache écoutez. Malheur à celui qui, sans la ramasser, laisse tomber une parole d'or de la bouche d'autrui. (1894 p.165)

  • On n'est pas heureux : notre bonheur, c'est le silence du malheur. (1894 p.192)

  • Si, au lieu de gagner beaucoup d'argent pour vivre, nous tâchions de vivre avec peu d'argent. (1894 p.200)

  • Écrire, c'est une façon de parler sans être interrompu. (1895 p.218)

  • Il n'y a pas de Paradis, mais il faut tâcher de mériter qu'il y en ait un. (1895 p.226)

  • Un homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner, sans donner de prétexte. (1895 p.236)

  • La modestie va bien aux grands hommes. C'est de n'être rien et d'être quand même modeste qui est difficile.

  • Comme on serait meilleur, sans la crainte d'être dupe ! (1896 p.248)

  • Le « je ne sais quoi » d'une femme, il n'y a que ça qui compte. (1896 p.252)

  • Vers la clarté par n'importe quel chemin. (1896 p.254)

  • Rien ne sert de mourir, il faut mourir à point. (1896 p.255)

  • La vie est courte, mais comme c'est long, de la naissance à la mort. (1896 p.264)

  • Au premier sourire de n'importe quelle femme, je serais perdu. Heureusement je suis laid. Elles ont un peu peur, et aucune ne m'écrit. (1897 p.302)

  • Je ne coucherai pas avec cette femme parce que je suis marié, ou parce qu'elle l'est, mais personne ne peut exiger que je la chasse de ma pensée. Elle me préoccupe. Elle tient de la place en moi. Femme, si tu te mets en travers de mes rêveries, malheur à nous ! Laisse-les plutôt vivre de leurs petits riens, puis mourir.
    J'ai plus de disposition à être saint que coureur de femmes. Ma vie, le sérieux de mon âme, mes ambitions, mes idées, tout me rapproche du saint ; mais je sens bien qu'il faudrait un miracle pour que je le devienne. Je suis à la merci d'une grue, et cela me fait peur. (1897 p.304)

  • La prudence n'est qu'une qualité: il ne faut pas en faire une vertu. (1897 p.318)

  • Un tout petit enfant serait triste s'il savait que personne ne le grondera jamais. (1897 p.320)

  • Je suis un réaliste que gêne la réalité. (1897 p.327)

  • Dès que tu veux te regarder dans une glace, ton haleine la brouille. (1897 p.329)

  • La peur de la mort fait aimer le travail, qui est toute la vie. (1897 p.333)

  • Mes mots feront fortune ; moi pas. (1897 p.337)

  • L'homme propose et la femme dispose. (1897 p.341)
    [YF: et quel humoriste a dit: « L'homme dispose, Dieu dispose, et la femme s'interpose » ? ]

  • Avec de la prudence, on peut faire toute espèce d'imprudences. (1897 p.341)

  • J'ai déjà la peur de ne jamais avoir le courage de faire comme mon père. (1897 p.341)
    [YF: son père s'est suicidé d'un coup de fusil]

  • Le but, c'est d'être heureux. On n'y arrive que lentement. Il y faut une application quotidienne. Quand on l'est, il reste beaucoup à faire : à consoler les autres. (1897 p.342)

  • Je n'oublie rien, et mes impressions me reviennent toujours. Je suis un sentimental qui rumine. (1897 p.348)

  • C'est si facile à une femme de se faire aimer ! Nul besoin d'être bien jeune ni bien jolie. Il n'y a qu'à tendre la main d'une certaine façon, et l'homme y met tout de suite son cœur. (1897 p.350)

  • Mes enfants, pour tout héritage je vous laisserai mon âme, par écrit. (1897 p.350)

  • Pas assez sensuel pour courir après les femmes, je sens toujours, que la première venue ferait de moi ce qu'elle voudrait. (1898 p.359)

  • Avoir une éternité de perles à enfiler ! (1898 p.361)

  • - Voulez-vous me dire à quoi vous servez ?
    - Je sers à me rendre heureuse. (1898 p.364)

  • « La plus belle fille du monde...» Mais la plus laide donne plus. (1898 p.367)

  • Si jamais une femme me fait mourir, ce sera de rire. (1898 p.370)

  • (à propos du procès fait à Zola:)
    ...
    Et je déclare que je ne dis pas : « Ah ! si je n'avais pas une femme et des enfants!...» Mais je dis : « C'est parce que j'ai une femme et des enfants, c'est parce que j'ai été un homme quand ça ne me coûtait rien, qu'il faut que j'en sois un encore quand ça peut me coûter tout !» (1898 p.372)
    [YF:voir toute la page sur Zola]

  • Parce qu'ils ne sont pas Juifs, ils se croient beaux, intelligents et honnêtes. (1898 p.372)

  • - Un jour, une femme m'a fait une déclaration, et je me suis endormi.
    - Oh !
    - Dans ses bras. (1898 p.378)

  • Ne dites pas à une femme qu'elle est jolie. Dites-lui seulement qu'elle ne ressemble pas aux autres, et toutes ses carrières vous seront ouvertes. (1898 p.381)

  • Si vous voulez plaire aux femmes, dites-leur ce que vous ne voudriez pas qu'on dît à la vôtre. (1898 p.381)

  • Je voudrais, moi aussi, tout comprendre et tout sentir. Mais pauvre escargot que je suis, l'horizon infini, que je ne touche pas, blesse mes cornes. (1898 p.381)

  • Je sais nager juste assez pour me retenir de sauver les autres. (1898 p.389)

  • J'aime la solitude, même quand je suis seul. (1898 p.390)

  • Mon village est le centre du monde, car le centre est partout. (1898 p.391)

  • Tant qu'un homme ne s'est pas expliqué le secret de l'univers, il n'a pas le droit d'être satisfait. (1898 p.392)

  • J'aime tant mon village que je n'aime pas voir les autres s'y installer. (1898 p.393)

  • Personne ne nous montre nos défauts comme un disciple. (1898 p.394)

  • Il faut feuilleter tous les livres et n'en lire qu'un ou deux. (1898 p.396)
    [YF: voir 1893 p.139]

  • C'est le jeûne qui fait le saint, et la sobriété, l'homme de bon sens. (1898 p.398)

  • Je me jette à vos pieds, madame, s'il y a un coussin. (1898 p.400)

  • Chaque jour, je rentre ma sensibilité comme un troupeau de montons. (1898 p.401)

  • Combien de fois un homme parle-t-il plus haut et est-il plus bête quand il assiste au spectacle à côté d'une jolie femme qu'il veut épater ? (1898 p.403)

  • - Qu'est-ce que ça fait, dit une femme, que je le répète à tout le monde, puisque c'est sous le sceau du secret ? (1898 p.404)

  • Dès qu'on dit à une femme qu'elle est jolie, elle se croit de l'esprit. (1899 p.408)

  • Ce qui me sauvera, c'est un goût que j'ai, un arrière-goût de sainteté. (1899 p.409)

  • Qu'est-ce que la vie quand elle n'est vue que par des yeux qui ne sont pas des yeux de poètes ? (1899 p.409)

  • Ce qu'on ressent pour certaines femmes, ce n'est pas de l'amour, ce n'est pas de l'amitié non plus : c'est de la tendresse. (1899 p.409)

  • Au fond de tout patriotisme il y a la guerre : voilà pourquoi je ne suis point patriote. (1899 p.419)

  • Penser ne suffit pas : il faut penser à quelque chose. (1899 p.425)

  • Sensible à tout, j'ai pris la sotte habitude de dire : « Tout m'est égal » (1899 p.426)

  • Ne jamais se plaindre et toujours consoler. (1899 p.432)

  • Il faut être dans la vie comme le trappeur dans une forêt. (1899 p.435)

  • Je voudrais être vieux et pouvoir regarder une jolie femme sans qu'elle s'imagine que je désire coucher avec elle. (1899 p.437)

  • Près d'une femme, j'éprouve tout de suite ce plaisir un peu mélancolique qu'on a sur un pont à regarder l'eau couler. (1900 p.448)

  • Dès qu'une femme me fait un compliment, pour peu qu'elle soit jolie, tout de suite je me sens amoureux d'elle. (1900 p.453)

  • Femmes qui nous troublent un peu, qui laissent, en passant, sur la netteté de notre cœur, une buée légère. (1900 p.458)

  • Je voudrais seulement avoir assez de talent pour qu'il me préserve de l'envie. (1900 p.460)

  • Femme troublante, vous que je n'ai qu'entrevue et que j'espère bien ne jamais revoir. (1900 p.461)

  • Je ne peux pas regarder une feuille d'arbre sans être écrasé par l'univers. (1900 p.461)

  • Maintenant, il faut lire entre les lignes du téléphone. (1900 p.463)

  • Le meilleur de nous est incommunicable. (1900 p.472)

  • ..Qu'est-ce qu'un homme qui ne se propose pas d'avoir du génie ? (1900 p.472)

  • Notre vanité ne vieillit pas ; un compliment, c'est toujours une primeur. (1900 p.473)

  • Sauf complications, il va mourir. (1900 p.473)

  • Une femme qui ne dure qu'une nuit, pas même, qui ne dure qu'un rêve, nous laisse les plus doux regrets. (1900 p.480)

  • Je ne réponds pas d'avoir du goût, mais j'ai le dégoût très sûr. (1901 p.509)

  • C'est chez le Juif, que nos défauts nous apparaissent le mieux. (1901 p.513)

  • Si tu ne peux être un homme de génie, soit un sage. Ce n'est d'ailleurs pas plus commode. (1901 p.515)

  • On ne demande conseil que pour raconter ses ennuis. (1901 p.521)

  • Il ne faut jamais répéter ce qu'on n'a pas entendu soi-même. (1901 p.548)

  • Un homme intelligent arrive toujours à résoudre un théorème, pas toujours à réussir un poème. (1901 p.548)

  • C'est enrageant, de n'être pas Victor Hugo. (1901 p.554)

  • Je ne sais pas si Victor Hugo est un penseur, mais il me laisse une telle impression que, après avoir lu une page de lui, je pense éperdument, le cerveau grand ouvert. (1901 p.555)

  • Si l'on m'affirmait, preuve en main, que Dieu n'existe pas, j'en prendrais mon parti. Si Victor Hugo n'existait plus, le monde où se meut la beauté qui m'enivre deviendrait tout noir. (1901 p.555)

  • Il a des gens qui retirent volontiers ce qu'ils ont dit, comme on retire une épée du ventre de son adversaire. (1901 p.560)

  • Peu importe qu'on soit atteint de ce mal ou de cet autre : l'important, c'est qu'on soit mortel. (1902 p.560)

  • - Mon Dieu, ne me faites pas mourir trop vite ! Je ne serais pas fâché de voir comment je meurs. (1902 p.568)

  • Être indépendant comme un anarchiste et bon comme un saint. (1902 p.569)

  • ..Pourquoi t'imagines-tu que je dois garder ce que tu n'as pas pu garder ? ... (1902 p.572)

  • Un père à deux vies, la sienne, et celle de son fils. (1902 p.588)

  • (sur Schwob :) Il me ferait regretter de n'avoir pas été antisémite. (1902 p.597)

  • (sur la mariage, à son fils :) Prends une femme dont l'esprit religieux - ce n'est plus la religion - soit l'égal du tien. Convertis d'abord ta fiancée, à moins qu'elle ne te convertisse. Ayez la même façon de comprendre Dieu, c'est-à-dire l'univers et votre destinée. Sinon n'épouse pas. (1902 p.613)

  • Je ne peux pas voir une jolie femme sans en être éperdument amoureux. C'est le coup de foudre, et ça dure le temps d'un coup de foudre : un éclair. (1903 p.630)

  • Il y a des gens si ennuyeux qu'ils vous font perdre une journée en cinq minutes. (1903 p.633)

  • C'est difficile d'être bon quand on est clairvoyant. (1903 p.667)

  • Il n'y a rien de plus bassement pratique que la religion. (1903 p.670)

  • Que le troupeau de nos idées file droit devant cette grave bergère, la Raison ! Effaçons les mauvais vers de l'humanité. (1903 p.672)

  • Christianisme : hérésie de la religion juive. (1903 p.685)

  • - Vous aimez les Juifs ? dit-elle.
    - Je tâche d'aimer tous les hommes quand ils sont bons et intelligents. (1904 p.698)

  • On ne peut rien cacher. La force, c'est de n'avoir rien à cacher. (1904 p.726)

  • La femme est un roseau dépensant. (1904 p.745)

  • L'homme est un animal qui ne raisonne presque pas. (1905 p.765)

  • Si tu crains la solitude, n'essaie pas d'être juste. (1905 p.774)

  • Si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! (1905 p.808)

  • (sur Dieu :) J'ignore s'il existe, mais il vaudrait mieux, pour son honneur, qu'il n'existât point. (1905 p.812)

  • Dans l'ombre d'un homme glorieux, il y a toujours une femme qui souffre. (1905 p.814)

  • Il y a des choses que je m'efforce de ne pas dire, mais je souhaite qu'on les devine. (1906 p.826)

  • Paresse : habitude de se repose avant la fatigue. (1906 p.831)

  • J'ai beau avoir mon âge [42 ans] et être maire : quand je vois un gendarme je ne suis pas tranquille. (1906 p.834)

  • .. je n'ai jamais eu la patience d'être ambitieux. (1906 p.850)

  • Il faut être discret quand on parle de son bonheur, et l'avouer comme si l'on se confessait d'un vol. (1906 p.862)

  • Ce serait beau, l'honnêteté d'un avocat qui demanderait la condamnation de son client. (1907 p.891)

  • - Vous n'aimez pas les femmes ?
    - Je les aime toutes. Je fais des folies pour elles. Je me ruine en rêves. (1908 p.903)

  • Quand un homme a prouvé qu'il a du talent, il lui reste à prouver qu'il sait s'en servir. (1908 p.927)

  • Je n'ai pas de grands malheurs, mais c'est ma façon de les sentir qui est importante. (1908 p.944)

  • On ne devrait rien dire, parce que tout blesse. (1909 p.969)

  • La vie n'est ni longue, ni courte : elle a des longueurs. (1909 p.985)

    (Edition Robert Laffont.1990. Collection Bouquin)


Lien(s): Le texte complet du journal   Notes biographiques (site sur les oeuvres pour la jeunesse   

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dernière mise à jour : 25/05/2922 version: YF:10/2001