Fabrice Midal (1967 -)

Auschwitz, l'impossible regard


  • Auschwitz n'est pas un accident de parcours dans l'histoire de l'Occident - accident dont nous pourrions tirer des leçons pour mieux continuer la marche en avant, c'est-à-dire nous conforter dans l'illusion d'un progrès continu de l'humanité. Auschwitz révèle tout l'abîme inhérent à notre temps, la faillite du projet des Lumières et plus amplement la faille qui ébranle toute notre histoire. (p.77)

  • La Shoah n'est pas explicable par une analyse de la nature du mal, ou pire encore par la psychologie d'Hitler, mais témoigne de l'abîme propre à l'Occident, qui a pu inventer et justifier rationnellement l'eugénisme scientifique.
    Voilà le témoignage aujourd'hui nécessaire. Non pas témoigner de l'horreur, mais de l'abîme même du sens qui marque désormais notre monde. (p.152)


  • L'immense difficulté que nous avons à affronter ici est que, bien sûr, rien aujourd'hui n'est comparable, et ce, d'aucune manière, avec l'extermination nazie. Rien. Auschwitz marque un point limite de l'histoire de l'humanité. Et pourtant, dans le même temps, le rapport à la réalité propre au nazisme est loin d'être dernière nous. (p.161)

  • Il devrait sauter à la figure de chacun de nous que le propre du nazisme ne fut pas ce qu'on appelle couramment la barbarie ou la monstruosité, mais que ce qu'il fit, il le fit par l'emploi de méthodes industrielles aussi peu spectaculaires que possible, visant selon ses propres termes à accorder une «mort miséricordieuse», à accorder une «sélection biologique» se voulant la plus efficace possible. Sommes-nous aujourd'hui libres d'un rapport biologique à l'être humain ? Sommes-nous libres de la perspective d'opérer une sélection efficace entre ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui ne l'auraient pas ? Sommes-nous libres d'un rapport à la maladie fondé sur l'efficacité à tout prix - niant la dimension la plus proprement humaine de la médecine ? Sommes-nous libre d'un rapport totalitaire à la nature, aux animaux et au vivant tout entier - c'est-à-dire sommes-nous encore à même de les regarder hors du schéma de la rentabilité dans laquelle nous les avons installé ? (p.163)

  • Il existe, en vérité, un lien indiscutable, atroce, implacable, entre l'espoir des lendemains qui chantent et le crime.
    Emmanuel Levinas écrivit quelque part, d'une manière admirable « Le judaïsme est l'incompatibilité du messianisme et de l'idyllique ». Voilà qui m'apparaît comme un point d'appui décisif. Toute promesse de bonheur finit par concourir à la barbarie, prétend nous faire accepter l'irréparable au nom d'un hypothétique futur. (p.173)


    (Editions du Seuil 2012)



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dernière mise à jour : 05/07/2023 version: YF/10/11.2023