William Somerset Maugham (1874-1965)

The summing Up (Mémoires) 1938


  • Le prestige qu'on acquiert en pouvant dire à ses amis qu'on connait des gens célèbres ne prouve que votre propre insignifiance. (p.22)

  • Lorsque je l'aurai achevé,[ce livre] je pourrai envisager l'avenir avec sérénité, car j'aurai achevé l'oeuvre de ma vie.
    ..
    Régler ses affaires est une excellente façon de se préparer à vivre le reste de ses jours sans souci de l'avenir. (p.25)

  • Une belle réponse ..Une Américaine décédée il y a peu à un âge avancé, me confia avoir demandé une fois à ma mère: «Vous êtes si belle, tant d'hommes, sont amoureux de vous, pourquoi restez vous fidèle à cet horrible nabot que vous avez épousé?»
    - Ma mère lui répondit : «Jamais il ne me blesse». (p.32)

  • Je me demande comment un homme peut s'arroger le droit de condamner autrui, s'il réfléchit à ses propres pensées. (p.65)

  • Ce qui m'a surtout frappé chez les humains c'est, je crois leur manque de cohérence. (p.67)

  • Il convient de ne pas trop attendre des autres. (p.68)

  • Rien n'est plus beau que la bonté, (p.68)

  • Rien n'est plus rare que la normalité. (p.78)

  • Je ne suis pas un être sociable. Je suis incapable de m'enivrer, puis d'éprouver beaucoup d'amour pour mes semblables. (p.86)

  • Je n'aime guère qu'on me touche, et je dois toujours faire un léger effort pour ne pas m'écarter quand quelqu'un me prend le bras. Je suis incapable de m'oublier. L'hystérie du monde me rebute, et je ne suis jamais davantage sur la réserve qu'au milieu d'une foule s'abandonnant à une sentiment violent de joie ou de tristesse. (p.86) (YF:Je me retrouve très bien dans cette description)

  • La valeur de la culture tient à l'influence qu'elle exerce sur le caractère. Elle est inutile à moins qu'elle ne l'ennoblisse et l'affirme. Elle doit servir la vie. Son objectif n'est pas la beauté mais la bonté. (p.94)

  • De temps en temps, des journalistes en mal de copie me demandent quel fut le moment le plus palpitant de mon existence. Si je n'en avais pas honte, je leur répondrais ce fut le moment où je commençai la lecture de Faust de Goethe. (p.96) (YF: idem pour moi : le premier livre quel j'ai analysé par écrit: en 1961 à 17 ans)

  • Nulle lecture se justifie si elle ne procure pas de plaisir. (p.102)

  • Il est beaucoup plus difficile, de pardonner à autrui le mal que nous lui avons fait; ceci nécessite, en vérité, une force de caractère singulière. (p.250)

  • La grande tragédie de la vie n'est pas que l'homme périsse, mais qu'il cesse d'aimer. (p.282)

  • La bonté est la seule valeur qui, dans ce monde d'apparences, peut se revendiquer comme une fin en soi. (p.284)

    (Editions du Rocher 1991. Dans le livre de poche collection biblio Traduit par Paul Couturiau et Sabine Delattre)


William Somerset Maugham (1874-1965)

Et mon fantôme en rit encore ( A writer's Notebook)


  • [...] les Français prennent la littérature beaucoup plus au sérieux que nous; un livre revêt pour eux une importance qui ne nous effleurera jamais, et ils sont prêts à ergoter sur des questions de principe avec une véhémence qui nous laisse pantois - et goguenards, car nous ne pouvons nous ôter de la tête qu'il y a quelque chose de comique à prendre l'art si gravement.[...] les problèmes politiques et religieux ont en France une manière peu commune de s'immiscer dans la littérature, si bien qu'un auteur verra son livre attaqué avec furie, non en raison de sa médiocrité mais parce qu'il est protestant, nationaliste, communiste, ou que sais-je encore. Cela a de nombreux aspects très louables. Il est bon qu'un écrivain, tout en accordant de l'importance au livre auquel il travaille, ait conscience que ceux des autres en ont également. [...] (p.13/14)

  • Si l'égoïsme n'était pas tenu pour un vice, nul n'en serait plus incommodé que par la loi de la gravité, nul n'attendrait de ses semblables qu'ils agissent autrement qu'en fonction de leur intérêt; et il semblerait raisonnable que l'on se comporte aussi égoïstement qu'on le fait en réalité.

    C'est une bonne maxime que de ne pas exiger des autres plus qu'ils ne peuvent donner sans en pâtir. (p.34)

  • La foi n'est pas affaire de bon sens, de logique ou de raison, mais de sentiment. Il est tout aussi impossible de démontrer l'existence de Dieu que de démontrer le contraire. Je ne crois pas en Dieu. Je n'en éprouve pas le besoin. Il me paraît invraisemblable qu'il puisse y avoir un au-delà. Je trouve révoltante la notion de châtiment futur, et extravagante celle d'une récompense dans l'éternité. J'ai la conviction qu'à ma mort, je cesserai définitivement de vivre, je retournerai à la terre d'où je suis venu. Pourtant je conçois qu'un jour je puisse croire en Dieu, Cependant, comme aujourd'hui je ne crois pas en Lui, ce ne sera pas une affaire de réflexion ou d'observation, mais simplement de sentiment. (p.34/35)

  • Un acte n'est pas vertueux pour la simple raison qu'il est désagréable. (p.40)

  • C'est l'homme qui fait l'importance de l'évènement (p.41)

  • Les hommes étant si différents entre eux comment peut-il y avoir une morale communes ? (p.46)

  • Les parents altruistes ont des enfants égoïstes. Ce n'est pas la faute des enfants. il est naturel qu'ils acceptent les sacrifices que font pour eux leurs parents et les considèrent comme un dû; comment sauraient-ils qu'en ce monde on n'obtient rien pour rien ? (p.47)

  • Les parents sont bien sots d'accuser leurs enfants d'ingratitude; qu'ils se souviennent donc que ce qu'ils ont fait pour eux, ils l'ont fait par plaisir. (p.47)

  • De tous les malheurs qui peuvent arriver à un jeune garçon peu seront plus lourds de conséquences que celui d'avoir une mère vraiment affectueuse. (p.48)

  • On nous parle beaucoup de la noblesse du travail; mais il n'y a rien de noble en soi dans le travail. [...] (p.49)

  • On loue le travail parce qu'il offre l'oubli de soi-même. Les sots s'ennuient lorsqu'ils n'ont rien à faire. Le travail pour la majorité d'entre eux, est le refuge contre l'ennuie; mais il est comique de le juger noble pour autant. Il faut bien de talent et un long apprentissage pour être oisif. (p.49)

  • La parfaite adaptation de l'homme à la société sera-t-elle jamais réalisable ? Il se peut qu'on mette un jour un terme à la lutte pure et simple pour l'existence, mais cela aura-t-il l'effet désiré ? Il n'en restera pas moins que certains sont forts et d'autres faibles. Que les besoins physiques des uns diffèrent de ceux des autres. Certains seront toujours plus beaux. Les plus talentueux s'attireront de plus grandes récompenses. Ceux qui échouent continueront d'envier ceux qui réussissent. Les hommes vieilliront toujours et, refusant leur âge, s'obstineront à retenir les bénéfices de la jeunesse, jusqu'à ce qu'ils leur soient violemment arrachés. Quand bien même bien toute autre cause de discorde disparaîtrait, les différends sexuels existeront toujours. Aucun homme ne renoncera à la femme qu'il aime sous prétexte qu'un autre la désire. Partout où est l'amour, on trouvera immanquablement la haine, la rancune, la jalousie, l'emportement. Pour prêts qu'ils soient à sacrifier leur satisfaction personnelle au bien du grand nombre, on peut douter que les gens renonceront jamais à celle de leurs enfants. L'homme ne change pas : toujours les passions sont susceptibles de s'éveiller, et l'instinct brutal du sauvage de réaffirmer sa domination. (p.50/51)

  • La tolérance n'est qu'un autre mot pour l'indifférence. (p.52)

  • Rien dans la vie n'a de signification, la douleur et la souffrance sont stériles et futiles. La vie n'a aucun but. Pour la nature rien ne compte hormis la perpétuation de l'espèce. (p.55)

  • Quelle idée étrange que le changement soit nécessairement synonyme de progrès! (p.70)

  • En théorie, il n'est pas de limites au pouvoir de l'Etat, sinon la peur d'une révolution; la seule limite à son action est de son unique ressort. [...] Jamais l'Etat ne doit oublier la vérité de l'axiome de Mandeville : les vices des individus font la fortune de l'Etat. (p.94)

  • Il importe de comprendre que, fondamentalement, l'âme humaine est isolée. (p.95)

  • Il serait intéressant de démontrer que la peur de la mort est une maladie européenne : qu'on observe l'impassible quiétude avec laquelle s'y préparent les races orientale et africaine. (p.97)

  • Pour constater l'étrangeté des fondements du sens moral, il suffit de voir l'indifférence avec laquelle les gens de foi ont, au fil des siècles, considéré les atrocités contenues dans la Bible. Condamnent-ils la supercherie de Jacob ou la cruauté de Josué ? En aucune façon . Sont-ils choqués par la dureté avec laquelle furent traités les enfants de Job ? Pas le moins du monde. Eprouvent-ils la moindre compassion pour l'infortunée Vasthi ? Je n'en ai jamais vu le plus léger signe. (p.101)

  • Je ne puis concevoir d'état d'esprit plus confortable dans la vie qu'une résignation nuancée d'humour. (p.101)

  • L'origine du caractère remonte à celle de l'organisme de l'individu. Dès la naissance, il subit de conditions physiques et de l'environnement. Il est pénible qu'une personne, sans en être nullement responsable, ait un caractère pervers et intraitable qui la condamne à une vie sans joie. (p.101)

  • Peut-être tous les bienfaits de la religion sont-ils contrebalancés par son idée fondamentale que la vie est misérable et vaine. Envisager l'existence comme un pélerinage vers un au-delà meilleur revient à nier sa valeur présente. (p.102)

  • Ce sont les impression des vingt premières années d'un homme qui font sa formation. (p.180)

  • J'ai des idées bien marquées quant à l'apprentissage d'une langue. Je considère comme un perte de temps que d'acquérir une connaissance plus grande que nécessaire pour lire couramment et s'exprimer dans les circonstances ordinaires de la vie. Le travail fastidieux pour se familiariser parfaitement avec une langue étrangère n'est d'aucun profit. (p.181)

  • Je n'ai jamais trouvé que la souffrance améliorât le caractère. [...] Mais la souffrance diminue la force vitale. (p.185)

  • On dit que la souffrance entraîne la résignation, et l'on considère la résignation comme la solution aux maux de l'existence. Mais se résigner, c'est s'abandonner aux caprices d'un sort hostile. La résignation accepte les traits dont nous meurtrit l'outrageuse fortune, et voit en eux un bienfait. Elle baise le fouet qui la cingle. C'est la vertu des vaincus. Un esprit plus courageux refuse tout compromis avec elle ; il mène une lutte incessante contre les circonstances, et bien qu'il ait conscience de l'inégalité du combat, il continue de se battre. L'échec est peut-être inévitable mais la défaite est double si elle est acceptée. Pour certains, Prométhée, enchaîné à son rocher et fort de son invincible courage, est une plus grande source d'inspiration que celui qui, sur une croix honteuse, prie son Père de pardonner à ses ennemis parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. La résignation ressemble trop à l'apathie pour un esprit animé. Elle se soumet parfois à ce qui ne peut ni ne doit être supporté. C'est l'ultime tentative d'esclaves pour faire de leur manque de courage un motif de présomption. Et même si les fers qui retiennent un homme ne peuvent être brisés, qu'il demeure rebelle : bien qu'il endure le froid et la faim, la maladie, la misère et la solitude, bien qu'il sache que le chemin est escarpé et qu'aucune aube ne succédera à la nuit, que toujours il refuse d'admettre que le froid et la faim, la maladie et la misère sont bénéfiques; quoiqu'il n'ait pas la force de poursuivre ce combat sans espoir, qu'il conserve au cœur cette dernière étincelle de liberté qui lui permet d'affirmer que toute douleur est exécrable. (p.186)

  • Malheureusement, l'expérience courante montre que ces gens [ les serveurs de restaurant] sont devenus fort discourtois [après l'abolition des pourboires]. Le service est mal fait, et à contrecoeur. Il est bien pénible d'avoir à conclure que l'homme est par nature un malappris, qui répugne à servir ses semblables et n'accepte de se montrer aimable qu'en échange d'une rétribution. (p.201/202)

  • 1941 Tout le chapitre vaut la peine d'être lu et relu.... (p.357)

  • Fondamentalement, l'homme n'est pas un animal raisonnable. (p.361)

  • Je ne sais pas pourquoi la religion n'attribue jamais de bon sens à Dieu. (p.361)

  • L'une des découvertes les plus utiles que je crois avoir jamais faites, c'est combien il est facile d'avouer qu'on ne sait pas. Je n'ai jamais eu l'impression que cela m'ait abaissé dans l'opinion d'autrui. (p.361)

  • Je m'étonne que ceux qui ont à coeur la préservation de la démocratie ne s'inquiètent pas de l'importance immodérée qu'elle accorde à l'éloquence [...] L'éloquence ne fait pas appel à la raison mais à l'émotion ; on aurait pu croire qu'en matière à décider du destin d'une nation, ce serait pure folie de laisser l'opinion être guidée par l'émotion plutôt que par la raison. La démocratie n'a jamais été mise à plus rude épreuve que lorsqu'une expression bien tournée a faille placer un idiot ignorant et vaniteux à la tête de la Maison blanche. (p.366)

  • Au début du dix-neuvième siècle, la France était le pays le plus riche, le plus peuplé d'Europe; les guerres napoléoniennes la rendirent exsangue et la décimèrent. Depuis aujourd'hui plus de cent ans, c'est une sous-puissance qui se fait passer pour une super-puissance. Cela lui a fait doublement tort; d'abord en lui donnant des prétentions dont elle n'avait pas les moyens, ensuite en incitant les grandes puissances à redouter des ambitions qu'en réalité elle n'aurait jamais pu réaliser. La guerre a rendu manifeste ce que seuls pouvaient voit les plus avisés. Qu'elle affronte donc la vérité, et qu'elle de la conduite à tenir.[...] si elle désire revenir au nombre des grandes puissances, son sort réside entre ses mains. Elle possède un sol productif et avantageusement situé, un peuple vif, courageux et travailleur. Mais elle doit cesser de s'accrocher au prestige de sa grandeur passée, elle doit mettre toute fierté de côté pour affronter les faits avec courage et réalisme. Elle doit place le bien commun au-dessus du bien de l'individu. Elle doit se préparer à apprendre des peuples qu'elle a par trop longtemps méprisés qu'un nation ne peut avoir de force sans sacrifice, d'efficacité sans intégrité, de liberté sans discipline. Elle serait bien avisée de faire la sourde oreille à ce que lui disent ces dignes gens de lettres, car ce n'est pas la flatterie qui peut aider la France, mais la vérité. D'elle seule il dépend qu'elle se relève. (p.372/373)

  • Il est sans doute très agréable d'appartenir à une famille dévouée et unie, mais j'ai dans l'idée que cela n'aide nullement l'adulte à faire son chemin dans la vie. L'admiration mutuelle qui règle fréquemment au sein de telle famille lui donne une idée fausse de son talent et lui rend ainsi plus pénibles les luttes qu'il aura a livrer dans l'existence. (p.373)

  • Quand nous aurons gagné la guerre, j'espère ardemment que nous ne serons pas assez sots pour croire que c'est en raison de qualités dont nos ennemis sont dépourvus. Ce serait une erreur grossière de se convaincre que nous devons la victoire à notre patriotisme, notre courage, notre loyauté, notre intégrité et notre abnégation; ils ne nous auraient servi à rien si nous n'avions pu produire des armes et entrainer des troupes nombreuses. C'est la force qui fait la loi, non le droit.[...]. Il est cruel de dire que la force prime le droit et tous nos préjugés nous portent à le nier, mais c'est la vérité. La morale, c'est que toute nation doit s'assurer qu'elle possède la force nécéssaire pour défendre sa propre conception du bien. (p.375/376)

  • La beauté est une valeur quel qu'en soit son objet, cependant elle n'est une valeur essentielle que si elle exalte l'âme, lui permettant ainsi d'accepter des valeurs plus importantes. Mais que diable est donc l'âme ? (p.377)

  • Chose étrange, l'humilité des autres nous embarrasse. Nous sommes mal à l'aise quand ils s'humilient devant nous. Je ne sais comment l'expliquer, sinon parce qu'il y a là quelque chose de servile qui offense notre sens de la dignité humaine.[...]

    Ou serait-ce que l'humilité des autres nous fait prendre conscience de notre propre indignité ? (p.379)

  • Mais pourquoi l'homme devrait-il être humble face à Dieu ? Parce que Dieu est meilleurs, plus sage, et plus puissant ? Piètre raison en vérité. Autant dire que ma servante doit s'humilier devant moi parce que je suis blanc, plus riche et plus instruit. Il me semble plutôt que c'est Dieu qui aurait de quoi s'humilier en considérant la médiocrité dont il a fait preuve dans sa création de l'être humain. (p.380) )

  • 1944 Post-scriptum (p.389)

  • De tous les anniversaires, le soixante-dixième me semble le plus important. On a atteint l'âge communément admis comme la limite de la vie d'un homme et l'on ne peut voir dans les années qui restent qu'une série de contingences incertaines dérobées pendant que le vieillard à la faux, le Temps, tourne la tête. A soixante-dix ans, on n'est plus au seuil de la vieillesse. On est vieux tout simplement. (p.389)

    (Editions du Rocher 1989. Traduit de l'anglais par Corinne Derblum) ISBN 2268 00 815 0


Lien(s): Biographie et liste d'oeuvres  

Début de page  
dernière mise à jour : 24/05/2022 version: 05/2005