Amin Maalouf (1949 - ....)

Les identités meurtrières


  • Je n'ai pas plusieurs identités, j'en ai une seule, faite de tous les éléments qui l'on façonnée, selon un « dosage » particulier qui n'est jamais le même d'une personne à l'autre. (p.8)

  • Quiconque revendique une identité plus complexe se retrouve marginalisé. (p.9)

  • Mon identité, c'est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne. (p.16)

  • Le fait d'être chrétien et d'avoir pour langue maternelle l'arabe, qui est la langue sacrée de l'islam, est l'un des paradoxes fondamentaux qui ont forgé mon identité. (p.23/24)

  • En extrapolant à peine, je dirai : avec chaque être humain, j'ai quelques appartenances communes; mais aucune personne au monde ne partage toutes mes appartenances, ni une grande parties de celles-ci; [...] (p.27)

  • Car c'est mon regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer. (p.29)

  • L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence. (p.31)

  • Bien que ce ne soit évidemment pas l'environnement social qui détermine le sexe, c'est lui néanmoins qui détermine le sens de cette appartenance : naître fille à Kaboul ou à Oslo n'a pas la même signification, on ne vit pas de la même manière sa féminité, ni aucun autre élément de son identité...
    S'agissant de la couleur, on pourrait formuler une remarque similaire. (p.31)

  • [...] ce qui détermine l'appartenance d'une personne à un groupe donné, c'est essentiellement l'influence d'autrui ; l'influence des proches - parents, compatriotes, coreligionnaires - qui cherchent à se l'approprier, et l'influence de ceux d'en face, qui s'emploient à l'exclure. (p.33)

  • Ce sont les blessures qui déterminent à chaque étape de la vie, l'attitude des hommes à l'égard de leurs appartenances, et la hiérarchie entre celles-ci. [...] qu'une seule appartenance soit touchée, et c'est toute la personne qui vibre. (p.34)

  • [...] je sais parfaitement que la peur pourrait faite basculer n'importe quelle personne dans le crime. (p.35)

  • [...] à partir du moment où une population a peur, c'est la réalité de la peur qui doit être prise en considération plus que la réalité de la menace. (p.36/37)

  • Le monde est une machine complexe qui ne se démonte pas avec un tournevis. (p.37)

  • C'est qu'on ne sait jamais où s'arrête la légitime affirmation de l'identité, et où commence l'empiètement sur les droits des autres ! (p.41)

  • La sagesse est un chemin de crête, la voie étroite entre deux précipices, entre deux conceptions extrêmes. En matière d'immigration, la première de ces conceptions extrêmes est celle qui considère le pays d'accueil comme une page blanche ou chacun pourrait écrire ce qu'il lui plaît, ou, pire, comme un terrain vague où chacun pourrait s'installer avec armes et bagages, sans rien changer à ses gestes ni à ses habitudes. L'autre conception extrême est celle qui considère le pays d'accueil comme une page déjà écrite et imprimée, comme une terre dont les lois, les valeurs, les croyances, les caractéristiques culturelles et humaines auraient déjà été fixée une fois pour toutes, les immigrants n'ayant plus qu'à s'y conformer. (p.49/50)

  • Pour les uns et les autres, j'insiste. Il y a constamment, dans l'approche qui est la mienne, une exigence de réciprocité - qui est à la fois souci d'équité et souci d'efficacité. (p.51)

  • Le droit de critiquer l'autre se gagne, se mérite. [...] (p.53)

  • Lorsqu'un acte répréhensible est commis au nom d'une doctrine, quelle qu'elle soit, celle-ci n'en devient pas coupable pour autant ; même si elle ne peut être considérée comme totalement étrangère à cet acte. (p.58)

  • Moi qui ne suis pas musulman et qui me situe d'ailleurs, délibérément, hors de tout système de croyance, je ne me sens nullement habilité à distinguer ce qui conforme à l'islam de ce qui ne l'est pas. (p.58/59)

  • [...] à mes yeux un croyant est simplement celui qui croit en certaines valeurs - que je résumerais en une seule : la dignité de l'être humain. Le reste n'est que mythologies, ou espérances. (p.66)

  • Mais il me semble que l'on exagère trop souvent l'influence des religions sur les peuples, tandis qu'on néglige à l'inverse, l'influence des peuples sur les religions. (p.71)

  • [...] je ne puis accepter qu'une faction religieuse, fût-elle majoritaire, impose sa loi à l'ensemble de la population - à mes yeux la tyrannie de la majorité ne vaut pas mieux, moralement que la tyrannie de la minorité ; et aussi parce que je crois profondément en l'égalité de tous, hommes et femmes notamment, ainsi qu'en la liberté de croyance, en la liberté pour conduire sa vie comme il l'entend, et me méfie de toute doctrine qui cherche à contester des valeurs aussi fondamentales. (p.103)

  • Plus la science progressera, plus l'homme devra s'interroger sur la finalité. Le Dieu du « comment ? » s'estompera un jour, mais le Dieu du « pourquoi ? » ne mourra jamais. (p.109)

  • Séparer l'Eglise de l'Etat ne suffit plus ; tout aussi important serait de séparer le religieux de l'identitaire. (p.110)

  • Et le destin ? demanderont certains, avec un clin d'oeil appuyé à l'Oriental que je suis. J'ai l'habitude de répondre que, pour l'homme, le destin est comme le vent pour un voilier. Celui qui est à la barre ne peut décider d'où souffle le vent, ni avec qu'elle force, mais il peut orienter sa propre voile. Et cela fait parfois une sacrée différence. Le même vent qui fera périr un marin inexpérimenté, ou imprudent, ou mal inspiré, ramènera un autre à bon port. (p.113)

  • Le postulat de base de l'universalité, c'est de considérer qu'il y a des droits inhérents à la dignité de la personne humaine, que nul ne devrait dénier à ses semblables à cause de leur religion, de leur couleur, de leur nationalité, de leur sexe, ou pour tout autre raison. (p.123)

  • La notion d'universalité serait vide de sens si elle ne présupposait pas qu'il y a des valeurs qui concernent tous les humais, sans distinction aucune. Ces valeurs priment tout. Les traditions ne méritent d'être respectées que dans la mesure où elles sont respectables c'est à dire dans l'exacte mesure où elles respectent les droits fondamentaux des hommes et des femmes. (p.124)

  • Dans le domaine des droits fondamentaux [...]il faut tendre vers l'universalité et même, s'il le faut, vers l'uniformité, parce que l'humanité, tout en étant multiple, est d'abord une. (p.124/125)

  • Il serait désastreux que la mondialisation en cours fonctionne à sens unique, d'un côté les « émetteurs universels », de l'autres les « récepteurs »; d'un côté « la norme», de l'autre « les exceptions » ; d'un côté ceux qui sont convaincus que le reste du monde ne peut rien leur apprendre; de l'autre ceux qui sont persuadés que le monde ne voudra jamais les écouter. (p.143)

  • S'enfermer dans une mentalité d'agressé est plus dévastateur encore pour la victime que l'agression elle-même. (p.143)

  • De toutes les appartenances que nous nous reconnaissons, la langue est presque toujours l'une des plus déterminantes.[...] Lorsque deux communautés pratiquent des langues différentes, leur religion commune ne suffit pas à les rassembler. [...] (p.152)

  • [...] un homme peut vivre sans aucune religion, mais évidemment pas sans aucune langue.

    Une autre observation, tout aussi évidente, mais qui mérite d'être rappelée dès que l'on compare ces deux éléments majeurs de l'identité : la religion a vocation à être exclusive la langue pas. (p.153)

  • La langue a vocation à demeurer le pivot de l'identité culturelle, et la diversité linguistique le pivot de toute diversité. (p.153/154)

  • Bien entendu, toutes les langues ne sont pas nées égales. Mais je dirai d'elles ce que je dis des personnes, à savoir qu'elles ont toutes également droit au respect de leur dignité. (p.156)

    (Grasset 1998. Lu dans le livre de poche) ISBN 978-2-253-15005-3



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dernière mise à jour : 06/04/2019 version: YF:04/2019