Jean Guéhenno (1890-1976)

Journal d'un homme de 40 ans.


  • L'esprit le moins romanesque ne résiste pas à l'envie de faire de sa vie un beau conte. (20)

  • Nous ne vivons que pour apprendre que nous sommes toujours volés. Devenir sage n'est que s'habituer à cette atmosphère de déception et de vol. (28)

  • Les lampions éteints, la vie vraie commença. (52)

  • Pourtant l'âme d'un pauvre homme, comme celle du plus grand artiste, peut contenir tout l'infini. (53)

  • Pourquoi faut-il à la plus simple vie tant d'accessoires ? (57)

  • ...toute ma vie m'apparaît comme un seul instant de lumière, une seule flamme qui veut être justifiée. (115)

  • La vie est un choix pour qui sait et veut vivre... Le secret de la force consiste à savoir ce qu'on veut donner et faire. (125)

  • Quand nous ne pouvons plus penser, nous nous sauvons par l'éloquence. (153)

  • Je ne cesserai pas de croire que les idées ne sont pas faites seulement pour être pensées, mais encore pour être vécues. (161)

  • Rarement, dans nos amours et dans nos amitiés, avons-nous la force de la probité. (163)

  • Je n'ai plus peur de mourir, c'est que j'ai fini par apprendre que nous ne cessons par de mourir. (193)

  • Les catastrophes ne sont pas ce qui changent ni ce qui règle la vie des hommes. (206)

  • Qui sait si nos songes ne sont pas notre plus vraie justification. (24)

  • Parce que nous sommes les seuls êtres qui savons que nous devons mourir, nous sommes aussi les seuls qui puissions et voulions donner un sens à notre vie. Tout ce qui importe est cette volonté même. Quand elle serait illusoire, elle n'en aurait pas moins son prix. C'est être digne déjà que de rêver de l'être. (225)

  • On ne juge jamais mieux qu'à vingt ans l'univers: on l'aime tel qu'il devrait être. Toute la sagesse après est de maintenir vivant en soi un tel amour. (235)

    (Edition Bernard Grasset . 1934. lu dans le Livre de poche)


Jean Guéhenno (1890-1976)

Ce que je crois


  • On n'a jamais fini de regarder dans la lumière (55)

  • Je désespère de l'unité de ma pensée et mon manteau de sage ne sera jamais qu'un manteau troué. (82)

  • Rien ne me touche comme cet engagement profond, quand un homme vit comme il pense et pense comme il vit. (88)

  • L'homme de l'avenir vaudra ce que vaudront ses loisirs. (146)

  • Je ne penserai jamais qu'il faille s'en remettre à la bonté humaine et à l'amour pour faire la justice. (152)

  • Un homme peut toujours devenir un peu plus grand qu'il n'est. (183)

    (Editions Bernard Grasset 1964)


Jean Guéhenno (1890-1976)

Changer la vie


  • Je me souviens d'un temps où j'aurais voulu ne jamais dormir. (11)

  • Je ne me résignerai jamais à penser que tout soit joué d'avance, que notre sort soit tiré par les fées, dans la clairière où elles s'assemblent, avant même notre premier cri. (11)

  • Nos manquent nous servent presque autant que nos biens. (11)

  • Les morts sont toujours justifiés. Chacun de nous se promènent avec bienveillance dans cette galerie de portraits de lui-même qu'est sa mémoire. (13)

  • Je voudrais servir la vérité, non ma vérité. (19)

  • Mieux vaut me résigner à ne savoir jamais comment je suis sorti du paradis. (49)

  • Dans toute les conditions, les plus humbles comme les plus hautes, une sorte de certitude préalable avec laquelle, semble-t-il, ils sont nés, rend certains hommes inaccessibles. Rien ni personne jamais ne les tient. Leur grande affaire est de n'être jamais accablés, écrasés par ce qui accable et écrase tous les autres, l'abondance ou l'absence de biens. C'est de sauvegarder autour d'eux l'air pour respirer, l'espace ou l'esprit vit à l'aise, où le coeur se gonfle, la marge de la liberté. Ce sont eux vraiment les hommes bien nés. (70)

  • On défend bien plus férocement sa chance que son droit. (74)

  • (mon père:). Ce qui lui importait était ce qui se passait en lui, un évènement d'une admirable intensité, toujours repris, toujours recommencé, une certaine idée de la vie humaine qu'il avait, à laquelle il ne pensait pas même être fidèle, mais qui le menait toujours, qui était devenue plus lui que lui-même. (75)

  • ..l'imagination du malheur ne me manque pas. De ce choses je n'aime pas me souvenir. Heureusement je me souviens mal. L'instinct de conservation règle notre mémoire, et j'ai, pour durer et vivre oublié. (102)

  • Sait-on jamais d'où souffle sur vous le désir, et ce qui fit de vous cet animal avide prêt pour la damnation ? (141)

  • C'est le secret de toute autorité: refuser ce qu'on vous demande, donner ce qu'on ne vous demande plus, et faire en sorte que tout paraisse le fait du prince. (163)

  • Sans doute n'aimais-je en elle que moi-même Il fallait qu'elle fût, que j'eusse quelqu'un à qui offrir en rêve mon effort et ma peine, restant bien entendu que j'en profitais seul. L'amour est ainsi le plus souvent: on aime pour soi, rien que pour soi. Sans elle, peut- être n'aurais-je rien tenté. (179)

  • Où qu'elle soit, je lui souhaite d'avoir été heureuse. Je lui dois bien plus qu'elle ne peut penser. (182)

  • ...parler toujours pour et selon le salut terrestre de tous les hommes, pour qu'ils soient un peu heureux et gardent la liberté et l'honneur. (218)

  • Les livres ne font que rendrent ce qu'on leur donne. Ils valent tout juste la volonté de délivrance et de lumière qui inspire celui qui les lit. (219)

  • Ne me plaisaient et ne m'ont été vraiment profitable que mes propres ratiocinations et mes longues veillées solitaires sur les livres. (235)

  • Un esprit d'homme veut être respecté: il n'est pas de plus grand crime que de lui rendre la vérité suspecte. (249)

  • ..Il y avait au monde de la gentillesse - c'était une grande révélation - une tendresse dont, bien sûr, je ne serais jamais capable, parce qu'il ne suffit pas de le vouloir. (268)

  • Il n'est pas si simple d'entrer dans l'âme et dans la vie des autres. Ce n'est pas une science qui se vende ou s'achète, comme le latin ou le grec ou les mathématiques. (280)

  • Les mots les plus simples, ceux à quoi tient le destin de tous les hommes, le pain, le travail, l'argent, l'amour, l'amitié, la maladie, la mort n'avaient pas en nous deux le même sens, ne créaient pas la même tension, n'évoquaient pas les mêmes problèmes. Chacun a son dictionnaire. (281)

  • ..il faut avoir beaucoup vécu et avoir vu beaucoup mourir pour savoir qu'un seul visage humain peut être le miroir et le résumé de la création. (283)

    (Editions Bernard Grasset. 1961 dans le livre de poche)


Jean Guéhenno (1890-1976)

Carnets du vieil écrivain


  • Je crois, mais ce n'est que croyance, que ce qui définit un homme vrai n'est pas son appartenance à une classe, à un milieu, c'est une impatience profonde de sa condition, un espoir de devenir un jour ce qu'au fond de lui il pense qu'il mérite d'être. (10)

  • A tort ou à droit, il (l'écrivain) croit aux mots, et qu'une bonne définition serait déjà presque une solution et que l'angoisse des hommes finirait s'il pouvait seulement l'exprimer. (17)

  • Je n'écrirai donc jamais un roman. Il y a trop de raisons à cela. Je ne crois pas assez à l'existence du monde extérieur. Je suis trop ignorant des êtres. (23)

  • Je ne retrouve quelque sécurité qu'en revenant à moi-même. Toujours moi-même! J'en ai du dégoût. Mais qu'y puis-je ? Rien d'autre ne me paraît nécessaire que des enchaînements contrôlés par ma propre peine ou par ma propre joie. Ainsi puis-je savoir si je suis ou non dans la vérité. (23)

  • Le temps n'use pas l'humanité, mais il use les hommes. (26)

  • Celui-là seul vieillit bien qui fait au temps les sacrifices inévitables et se console de n'être pas le héros du jour, mais continu sa propre méditation et son propre combat. (27)

  • Qui vieillit bien se console de n'être plus suivi par les jeunes gens. C'est leur tour d'être scandaleux et de faire des éclats. Il fait bien de se méfier chaque fois que les hommes de son âge le suivent. Mieux vaut vieillir seul. (27)

  • Il ne s'écrit rien de valable que par l'angoisse de la vérité. (30)

  • Mais il n'est pas de chemin sur lequel on s'égare davantage que ce chemin de soi au monde. (31)

  • Jamais la vie humaine n'aura été ni plus plein ni plus forte que dans ce monde où les hommes savent enfin qu'ils sont seuls les sauveurs des hommes. (40)

  • Que ne peut la lumière d'un souvenir ? (44)

  • Il se peut, après tout, que mes livres rencontrent quelquefois un lecteur qui les aime. Je sais bien ce que serait cet homme-là: quelqu'un qui, comme moi-même, ne serait pas sûr d'être toujours intelligent, qui quelquefois se serait senti aussi dénué que moi-même, soit que les fées l'aient mal servi à sa naissance, soit que la confusion du temps ait désespéré sa bonne volonté, mais quelqu'un qui, en dépit de tous ses manques et de toutes ses inaptitudes, tiendrait bon et resterait prêt à l'allégresse. (45)

  • Nous savons que de nos plus grands malheurs ou de nos plus grands bonheurs, nous serons décidément les premiers responsables. (46)

  • L'erreur de Nietzsche est d'associer, bien plus qu'il n'en a conscience, l'idée de culture à l'idée d'aristocratie. On naît « roi de la vie » , bien plus qu'on ne le devient. (48)

  • C'est rêver misérablement de ne rêver que par rapport à soi. La vérité n'est pas une « belle âme » et toutes les vaniteuses songeries de la paresse ne nous approcheront jamais d'elle. Elle n'est pas en nous, mais hors de nous, et le premier point est de sortir de soi, d'aller courageusement à sa rencontre et d'oser la regarder. Ce ne sont que les autres qui peuvent m'apprendre tout ce qu'est l'homme. Je ne trouverais pas en moi tout ce qu'il peut être,... (49)

  • Lorsque que je me suis pris à considérer les visages de ceux que j'aime, les rides pathétique qu'y a imprimées une vieille peur, je n'ai pensé qu'à les effacer. Ce sont les conditions de la vie qui font la vie. (50)

  • Tu ne sortiras pas de toi-même. Aucun homme n'en sort jamais. Quand il croit raconter le monde, il ne parle encore que de lui. (51)

  • Il n'y a pas de limite à la fidélité; ainsi se sent-on nécessairement, à tout retour sur soi-même, toujours infidèle. Si j'étais tout à fait fidèle, je brûlerais tous ce livres, ces tableaux, ces tapis. Je quitterais cette chambre. Je me mens à moi-même.... (54)

  • La culture n'est qu'un immense détour que nous faisons pour mieux apprendre ce qu'est la vie, augmenter la conscience. Mais combien ne sortent jamais de ce détour, s'y perdent, ne reviennent jamais à la vie ? ... (55)

  • Mon travail a été mon plaisir, ma vie même. Je crains qu'une telle vie soit faussée. (57)

  • Il ne faudrait pas se mentir à soi-même et connaître tout le mal qu'on fait. (78)

  • La vieille formule de Bacon, « Savoir c'est pouvoir » a commandé la science moderne, mais il y a un grand péril à pouvoir plus qu'on ne sait. (85)

  • Ce qui importe, c'est ce que nous devons croire pour vivre seulement, pour que tous les hommes vivent, puissent vivre, et le plus grandement possible. C'est la vérité qui les ferait vivre. Ce que je crois n'importe pas, s'il ne s'agit que de ce qui m'aide à vivre, moi seul. Tout conduit à chercher la vérité comme la religion de l'homme. (113)

  • Nous sommes seuls d'une solitude que rien ne peut guérir, contre laquelle pourtant nous ne cessons de lutter. L'amour est la plus grande défense, l'amour « cette complicité consentie, conquise, choisie », l'amour au delà du jugement. (171)

  • La condition humaine ? Un bataille perdue d'avance qu'il faut pourtant livrer tous les jours comme si on devait la gagner. (174)

  • Homme médiocre, lié par ma chair et mon esprit à des hommes aussi médiocres que moi-même, je sais que tout ce que nous avons a vaincre est cette médiocrité. Impossible de le faire si nous ne restons conscients d'elle. La solution sera médiocre, je le sais. Mais l'accepter est peut-être le plus grand courage. (175)

  • Mais je crois avoir vérifié que la sincérité n'est jamais qu'un merveilleux effort dont on n'est jamais sûr qu'il aboutisse: on se ment toujours parce que, pour continuer à durer et garder quelque volonté de vivre, pour ne pas tomber à un certain dégoût de soi, il n'est pas possible de se dire tout à soi-même. Il faut quelquefois se mentir. (181)

  • ... mais la mesure de notre dignité est sûrement de vouloir vivre dans la clarté... (194)

  • La résignation n'est point une sagesse, mais la dernière forme de l'inquiétude. (201)

  • Chacun en fin de compte, ne vaut profondément que le personnage idéal qu'il a rêvé d'être. (202)

  • Nous pouvons tous répéter cette prière de Baudelaire, qui demandais au Seigneur de lui « accorder la grâce de produire quelques beaux vers qui lui prouveraient à lui-même qu'il n'était pas le dernier des hommes». (200)

  • Je n'ai jamais écrit que pour apprendre aux hommes à espérer. (216)

    (Editions Bernard Grasset. 1971 dans le livre de poche)


Jean Guéhenno (1890-1976)

Journal des années noires (1940-1944)


  • Je vais m'enfoncer dans le silence. Il faut que je taise tout ce que je pense. (18)

  • ...la non liberté est dans vie la part de Dieu, la liberté est la part de l'homme, sa volonté et sa création. (49)

  • La conscience de notre servitude est tout ce qui nous reste de l'honneur. (51)[voir page 110]

  • Ce que je sais d'une toujours plus claire certitude, c'est que toute dignité consiste à chercher en soi-même son ordre, à essayer d'y trier le vrai, selon la parole du vieux Montaigne, et quand on croit l'avoir trouvé, à s'y tenir, sans égards pour les folies qui triomphent et qui passent. (70)

  • On est libre ou esclave à la mesure de son âme. (76)

  • Revenir à des idées simples, à l'unique problème: comment un homme se fait, comment un homme devient plus homme. (76)

  • Il est tel moment où toute notre liberté se réduite à la conscience de notre servitude. (110) [voir page 51]

  • Le seul moi qui vaille se construit et se veut. (142)

  • Il n'est pas bon de trop dire à des hommes qu'ils sont esclaves. (143)

  • Un homme ne se construit que sur son courage et par son courage. L'ordre vrai entre les hommes ne peut être que le rayonnement de leur dignité. Je veux pouvoir regarder tous les hommes comme mes frères. Mais celui-là n'est pas mon frère dont le premier regard cherche cruellement en moi et triomphe d'y découvrir la faiblesse, le besoin, le malheur qui lui garantira ma soumission. Je ne peux aimer que ceux qui espèrent en mon courage et en ma fierté. (153)

  • La rencontre que nous faisons du monde est l'occasion que nous avons de saisir l'éternel. (169)

  • Le plus vrai plaisir qu'on puisse faire à un être un peu noble, n'est de lui donner le sentiment qu'on a besoin de lui... (347)

    (Editions Gallimard 1947. Dans la collection Folio)


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dernière mise à jour : 09/02/2003 version: 01/12/2000