Cinq photos de ma femme
- Certains malentendus sont plus difficiles à défaire que le plus violents
attachements.
(p.41)
- Le XXe siècle, c'était fabriquer en vitesse des choses fragiles qu'on jetterait
le plus vite possible pour pouvoir en racheter d'autres. [...] Le but était
clair et unique, il s'agissait d'acquérir, pas d'accumuler. Sainement, comme un
corps géant qui s'emplit et se vide plusieurs fois par jour. Il faudrait
simplement agrandir les poubelles.
(p.111/112)
- Le plagiat du monde nous certifie que le monde est là.
(p.174)
- - Tu es un automate ; pas un gramme de cœur dans la poitrine.
- Pourquoi dis-tu ça ? Tu le regretteras après.
- Je le dis pour tout ce que tu ne m'as pas dit.
(p.177)
(Éditions de l'Olivier/Le seuil - 1998)
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Le château des Rentiers
- J'aimais et j'aime toujours admirer. C'est mon moyen de transport fétiche. Je
veux être ce que je ne suis pas. Je veux être là où je ne suis pas. Peu
importe que j'y parvienne ou non, car le plaisir est garanti pour le trajet.
(p.30)
- Ils en ont assez de m'écouter. Ils veulent parler. J'oublie toujours à quel
point les gens aiment parler.
(p.54)
- Revoir, c'est mieux voir. Comme relire, c'est mieux lire. Faire son deuil,
faire sa douleur, c'est donc, dans mon cas, arpenter le manque, chaque recoin
de chagrin, soulève une à une toutes les pierres où d'anciennes poussières de
souffrance sont allées se loger, cela dans le seul but, non d'oublier, mais de
recommencer à fréquenter la personne disparue.
(p.71)
- Comme je lisais dans la salle d'attente au moment où il était venu me chercher,
j'espérais qu'il m'interrogerait sur le roman que j'avais glissé dans mon sac
tout en réunissant mes affaires pour le suivre. J'espère toujours que les
médecins vont me poser des questions sur les livres que je lis.
(p.75)
- Ce qui ressembla à un paradoxe n'en est pas un : indisponible, elle l'était,
pour boire un café, se promener, bavarder au téléphone. Mais fiable et
présente, elle l'était aussi, pour s'occuper des enfants, me conduire en
voiture, m'aider à préparer un repas. Autrement dit, si c'était pour le plaisir
— le sien en particulier —, c'était souvent non. Si c'était pour se rendre
utile, c'était toujours oui.
(p.93)
- Comment faire l'histoire d'un évènement dont seuls les morts devraient pouvoir
parler. [...]
L'expérience concentrationnaire est incommunicable.
(p.128)
- ... Prévert a écrit : « Il faudrait essayer d'être heureux, ne serait-ce que
pour donner l'exemple. »
(p.147)
- Pas la peine de connaître pour écrire. Tu l'expliques si bien. On écrit pour
connaître, pas l'inverse. Sans cela aucun livre ne vaut. Si la connaissance
était la condition de l'écriture - pour peu que la connaissance existe-, seule
l'autobiographie serait possible. Car on ne connaît jamais l'autre.
(p.160)
- Nous parlons tous en même temps. Il y a tellement de bruit que ma fille descend
voir ce qui se passe dans la cuisine. Elle s'assied sur mes genoux et pose sa
tête contre ma poitrine. Au bout d'une demi-heure, alors qu'elle s'est tenue là
sans broncher, je lui demande :
- Ça t'intéresse ce qu'on dit
- Non. Je n'écoute pas.
- Tu t'ennuies ?
- Oui, répond-elle d'un ton rêveur que ne trahit aucun inconfort.
- Tu peux retourner dans ta chambre si tu veux.
- Il y a plus d'ambiance ici.
- Oui, me dis-je, c'est ça, c'est exactement ce qu'il nous faut ! de
l'ambiance.
(p.188)
- À l'école on nous apprend à faire un brouillon. Cette méthode qui consiste à
essayer, à l'entraîner avant de « faire pour de vrai ». structure notre
existence. Et pourtant, nous ne vivrons qu'une fois. Le brouillon sera la seule
tentative et coïncidera avec la version définitive. Quand on est vivant c'est
pour la première et dernière fois. Je ne cesse de m'en étonner, de trouver cela
effrayant et merveilleux.
(p.189)
- Les souvenirs sont à présent ma rente. Je vis autant du présent que je me
nourris du passé. Les années s'amenuisent, qu'importe ? Plus le temps qui me
reste à vivre diminue, plus ce que j'ai vécu enfle et prospère. Je renverse
l'iceberg. Cela crée d'énormes vagues, génère des tempêtes et d'incontrôlables
courants. Je me concentre. Il faut beaucoup de force pour concevoir ce nouvel
objet qui se tient sur la pointe et prend des allures de diamant.
(p.214)
(Éditions de l'Olivier - 2023)
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dernière mise à jour : 10/08/2023 # 06/11/2023
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version: YF-04/2009
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