Agnès Desarthe (1966- )

Cinq photos de ma femme


  • Certains malentendus sont plus difficiles à défaire que le plus violents attachements. (p.41)

  • Le XXe siècle, c'était fabriquer en vitesse des choses fragiles qu'on jetterait le plus vite possible pour pouvoir en racheter d'autres. [...] Le but était clair et unique, il s'agissait d'aquérir, pas d'accumuler. Sainement, comme un corps géant qui s'emplit et se vide plusieurs fois par jour. Il faudrait simplement agrandir les poubelles. (p.111/112)

  • Le plagiat du monde nous certifie que le monde est là. (p.174)

  • - Tu es un automate; pas un gramme de coeur dans la poitrine.
    - Pourquoi dis-tu ça ? Tu le regretteras après.
    - Je le dis pour tout ce que tu ne m'as pas dit. (p.177)

    (Editions de l'Olivier/ Le seuil - 1998)


Agnès Desarthe (1966- )

Le château des Rentiers


  • J'aimais et j'aime toujours admirer. C'est mon moyen de transport fétiche. Je veux être ce que je ne suis pas. Je veux être là où je ne suis pas. Peu importe que j'y parvienne ou non, car le plaisir est garanti pour le trajet. (p.30)

  • Ils en ont assez de m'écouter. Ils veulent parler. J'oublie toujours à quel point les gens aiment parler. (p.54)

  • Revoir, c'est mieux voir. Comme relire, c'est mieux lire. Faire son deuil, faire sa douleur, c'est donc, dans mon cas, arpenter le manque, chaque recoin de chagrin, soulève une à une toutes les pierres où d'anciennes poussières de souffrance sont allées se loger, cela dans le seul but, non d'oublier, mais de recommencer à fréquenter la personne disparue. (p.71)

  • Comme je lisais dans la salle d'attente au moment où il était venu me chercher, j'espérais qu'il m'interrogerait sur le roman que j'avais glissé dans mon sac tout en réunissant mes affaires pour le suivre. J'espère toujours que les médecins vont me poser des questions sur les livres que je lis. (p.75)

  • Ce qui ressembla à un paradoxe n'en est pas un : indisponible, elle l'était, pour boire un café, se promener, bavarder au téléphone. Mais fiable et présente, elle l'était aussi, pour s'occuper des enfants, me conduire en voiture, m'aider à préparer un repas. Autrement dit, si c'était pour le plaisir - le sien en particulier-, c'était souvent non. Si c'était pour se rendre utile, c'était toujours oui. (p.93)

  • Comment faire l'histoire d'un évènement dont seuls les morts devraient pouvoir parler. [...]
    L'expérience concentrationnaire est incommunicable. (p.128)

  • ... Prévert a écrit : « Il faudrait essayer d'être heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple. » (p.147)

  • Pas la peine de connaître pour écrire. Tu l'expliques su bien. On écrit pour connaître, pas l'inverse. Sans cela aucun livre ne vaut. Si la connaissance était la condition de l'écriture - pour peu que la connaissance existe-, seule l'autobiographie serait possible. Car on ne connaît jamais l'autre. (p.160)

  • Nous parlons tous en même temps. Il y a tellement de bruit que ma fille descend voir ce qui se passe dans la cuisine. Elle s'assied sur mes genoux et pose sa tête contre ma poitrine. Au bout d'une demi-heure, alors qu'elle s'est tenue là sans broncher, je lui demande :
    - Ça t'intéresse ce qu'on dit
    - Non. Je n'écoute pas.
    - Tu t'ennuies ?
    - Oui, répond-elle d'un ton rêveur que ne trahit aucun inconfort.
    - Tu peux retourner dans ta chambre si tu veux.
    - Il y a plus d'ambiance ici.
    - Oui, me dis-je, c'est ça, c'est exactement ce qu'il nous faut ! de l'ambiance. (p.188)

  • À l'école on nous apprend à faire un brouillon. Cette méthode qui consiste à essayer, à l'entraîner avant de « faire pour de vrai ». structure notre existence. Et pourtant, nous ne vivrons qu'une fois. Le brouillon sera la seule tentative et coïncidera avec la version définitive. Quand on est vivant c'est pour la première et dernière fois. Je ne cesse de m'en étonner, de trouver cela effrayant et merveilleux. (p.189)

  • Les souvenirs sont à présent ma rente. Je vis autant du présent que je me nourris du passé. Les années s'amenuisent, qu'importe ? Plus le temps qui me reste à vivre diminue, plus ce que j'ai vécu enfle et prospère. Je renverse l'iceberg. Cela crée d'énormes vagues, génère des tempêtes et d'incontrôlables courants. Je me concentre. Il faut beaucoup de force pour concevoir ce nouvel objet qui se tient sur la pointe et prend des allures de diamant. (p.214)

    (Editions de l'Olivier - 2023)




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dernière mise à jour : 06/11/2023 version: YF-04/2009