Jean Améry (1912 - 1978)

Par-delà le crime et le châtiment

Essai pour surmonter l'insurmontable


  • [...] j'ai cru comprendre que la dignité est le droit à la vie que vous confère la société. (p.9)

  • Où est-il écrit que l'attitude éclairée doive renoncer à l'émotion ? C'est le contraire qui me semble vrai. (p.20)

  • La question qui s'impose, réduite à sa plus simple expression, est la suivante: la culture et la disposition fondamentalement intellectuelle ont-elles servi le détenu dans les moments cruciaux ? L'ont-elles aidé à sortir de l'enfer ? (p.29)

  • [dans les camps de concentration] Mais l'intellectuel se révoltait devant l'impuissance de la pensée, car au début il s'en remettait encore à cette sagesse folle et rebelle selon laquelle "ce qui n'a pas le droit d'exister ne peut exister". (p.39)

  • Je ne voulais pas être au nombre de mes camarades croyants, mais j'aurais aimé être comme eux : inébranlable, tranquille, fort. Ce que j'ai cru comprendre m'est apparu de plus en plus comme une certitude : l'homme croyant au sens le plus large du terme, que la foi qui l'anime soit métaphysique ou fondée sur une immanence, se dépasse lui même. Il n'est pas prisonnier de son individualité, il fait partie d'un continuum spirituel que rien n'interrompt, même à Auschwitz. (p.45)

  • ...si l'homme libre confronté à la mort est capable d'adopter une certaine attitude mentale, c'est que pour lui la mort ne se confond pas entièrement avec les affres de l'agonie. (p.52)

  • On ne contemple pas le spectacle de l'homme déshumanisé, qui réalise ses exploits ou ses crimes monstrueux, sans que tous les concepts innés de la dignité humaine soient remis en question. (p.56)

  • Quand on parle de torture il faut bien se garder d'en remettre. Le traitement qui me fut infligé dans l'innommable cave voutée de Breendock n'était certainement pas la torture dans sa forme la plus atroce. Néanmoins, vingt-deux ans après que cela s'est produit, j'ose affirmer, en me fondant sur une expérience qui n'a pourtant pas sondé toute l'étendue du possible, que la torture est l'événement le plus effroyable qu'un homme puisse garder au fond de soi.[...] (p.61)

  • .. en dehors de toute expérience personnelle, je suis convaincu que pour le Troisième Reich la torture n'était pas un accident : elle en était l'essence même. (p.64)

  • Le premier coup fait comprendre au détenu qu'il est sans défense, et que ce geste renferme déjà tout ce qui va suivre à l'état embryonnaire. (p.70)

  • Bien peu de choses sont dites, quand un homme qui n'a jamais été battu émet la constatation éthico-pathétique q'avec le premier coup reçu le prisonnier perd sa dignité humaine. Je dois avouer que je ne sais pas exactement ce qu'est la dignité humaine.[...] Je ne sais donc pas si celui qui est roué de coups par la police perd sa "dignité humaine". Mais ce dont je suis certain c'est qu'avec le premier coup qui s'abat sur lui, il est dépossédé de ce que nous appellerons provisoirement la confiance dans le monde. (p.71,72)

  • Les frontières de mon corps sont les frontières de mon Moi. La surface de ma peau m'isole du monde étranger : au niveau de cette surface j'ai le droit, si l'on veut que j'aie confiance, de n'avoir à sentir que ce que je veux sentir.

    C'est comme un viol , un acte sexuel commis sans le consentement de l'un des deux partenaires. (72)

  • L'attente d"une aide extérieure est un élément constituant du psychisme au même titre que la lutte pour la vie. [...] Dans presque toutes les situations de la vie la blessure physique va de pair avec l'attente d'une aide extérieure : la première est compensée par la seconde. Mais avec le premier coup de poing du policier contre lequel il n'y a pas moyen de se défendre et que ne viendra parer aucune main secourable, c'est une partie de nore vie qui s'éteint pour ne jamais plus se rallumer. (p.73,74)

  • La torture n'est pas une invention du national-socialisme. Pourtant elle en fut l'apothéose. (p.77)

  • [...] il nous fut encore ajouter à titre explicatif que la torture a un caractère indélébile. Celui qui a été torturé reste un torturé. La torture est marquée dans sa chair ay fer rouge, même lorsque aucune trace cliniquement objective n'y est plus repérable. (p.83)

  • Si ce qui reste de l'expérience de la torture peut jamais être autre chose qu'une impression de cauchemar, alors c'est un immense étonnement, et c'est aussi le sentiment d'être devenu étranger au monde, état profond qu'aucune forme de communication ultérieure avec les hommes ne pourra compenser. (94)

  • Celui qui a été soumis à la torture est désormais incapable de se sentir chez soi dans le monde. [...} celui qui a été martyrisé est livré sans défense à l'angoisse. (p.95)

  • Je prétend donc que la terre natale c'est la sécurité. (p.109)

  • Accorder-moi la dimension de mon passé, sans quoi je serais incomplet. (p.131)

  • [Le ressentiment] cloue chacun de nous à la croix de son passé anéanti. il exige absurdement qu l'irrévesible soit inversé, que l'événement n'ait pas eu lieu. Le ressentiment bloque l'accès à la dimension humaine par excellence : l'avenir. (p.149)

  • Répétons-le encore : Hitler et ses méfaits continuent de faire partie de l'histoire allemande et de la tradition allemande. (p.165)

  • Auschwitz est le passé, le présent et l'avenir de l'Allemagne. (p.167)

  • La solidarité face à la menace est tout ce qui me rattache à mes contemporains juifs, qu'ils soient croyants ou incroyants, en faveur d'une nation ou en faveur de l'assimilation.... (p.205)

  • Sans le sentiment d'appartenance à la communauté des menacés, je ne serais plus qu'un homme qui laisse tomber les bras et fuit la réalité. (p.206)

  • Tout se ramène donc à la conscience du cataclysme passé et à la crainte légitime d'un nouveau cataclysme. (p.207)

  • Ce n'est pas parce qu'il m'est devenu difficile d'être un être humain que je suis devenu un être inhumain. (p.210) )


    (Actes Sud, 1995 Traduit de l'allemand par Françoise Wuilmart - première édition en 1966) lue dans la collection Babel N° 675 ISBN 2-7427-5323-0



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dernière mise à jour : 08/08/2020 version: 20/01/2008